Le budget 2025 reste la grande inconnue de cette rentrée. Une chose est certaine : il y aura des dépenses en baisse, y compris, vraisemblablement, sur la formation. Une « revue des dépenses publiques » diffusée début septembre 2024 fait la liste des économies qui peuvent être faites sur ce poste. Moindres dépenses et hausses des recettes permettraient de réduire la note de la formation de 1,9 Mds€, en suivant le scénario recommandé. L’aide à l’apprentissage est en ligne de mire. Nous avons lu le rapport pour vous, afin de faire l’inventaire des mesures qui pourraient affecter les financements utilisés par les entreprises.
11 mesures d’économie sur la formation et l’apprentissage
Commandée par l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne à l’inspection générale des finances et à l’inspection générale des affaires sociales, cette « Revue des dépenses publiques d’apprentissage et de formation professionnelle » a été remise en mars 2024 aux services de l’État. Finalement communiquée au public le 4 septembre 2024, elle identifie 11 pistes de réduction des dépenses.
Le champ de l’étude excluait les plans régionaux d’investissement dans les compétences, le conseil en évolution professionnelle (CEP) et la VAE. L’objectif fixé était d’arriver à un minimum d’1,5 Mds€ d’économies en 2025, « intégrant au plus 20% de mesures de recettes ». Pour l’essentiel, il s’agit donc de couper dans les dépenses. Les 3 principaux suspects sont cités dès l’abord : l’apprentissage, le CPF, et les dispositifs de reconversion. Le rapport identifie 11 mesures.
- 7 mesures portent sur l’apprentissage. Si elles étaient toutes appliquées, l’économie s’élèverait entre 1,9 et 2,5 Mds€.
- 1 mesure concerne le CPF, pour une économie estimée autour de 190M€ ; il s’agit cependant d’une mesure déjà mise en place sous une autre forme (le ticket modérateur, ou reste à charge).
- 3 mesures affectent les dispositifs de reconversion, et feraient gagner entre 144M€ et 216M€.
Au total, la dépense publique d’apprentissage et de formation pourrait donc être réduite de 3Mds€ en appliquant toutes les mesures préconisées – soit le double de l’objectif minimum affiché. Le rapport préconise un scénario central qui permettrait de réduire les dépenses de 1,5Mds€ et d’augmenter les recettes de 421 M€ – soit au total 1,921 Mds€ d’économies sur le poste formation et apprentissage.
Réduire la note de l’apprentissage
L’apprentissage est le principal poste de dépense identifié comme pouvant être optimisé. Ce n’est pas une surprise : la hausse de la dépense de formation ces 3 dernières années s’est expliquée essentiellement par les aides à l’embauche d’alternants mises en place initialement dans le cadre du plan de relance post-confinement en 2020. Le rapport cite un chiffre de l’OFCE selon lequel « le coût complet des dispositifs d’apprentissage a été multiplié par 3,4 entre 2018 et 2022 ». On l’évaluait à 14 Mds€ en 2022.
Des coupes sur les aides et les coûts contrat
Restriction de l’aide exceptionnelle : la première « coupe » proposée est donc la suppression de l’aide de 6 000 € aux entreprises de 250 salariés et plus qui embauchent un apprenti, lorsque la formation visée est de niveau bac+3 ou plus. Une telle mesure permettrait d’économiser 554 M€ dès 2025, à comparer aux 4,8 Mds€ que l’aide a coûté en 2022. Une alternative serait de réserver, tous niveaux d’études confondus, les aides aux entreprises de moins de 250 salariés, ce qui économiserait 851 M€.
On se souvient que le gouvernement d’Elisabeth Borne s’était engagé à reconduire le dispositif à l’identique jusqu’à 2027. Mais aucun texte n’a été pris à si longue échéance : chaque année, un décret vient en préciser les conditions pour l’année suivante. Il suffirait donc de publier en décembre 2024 un décret qui reconduise les aides pour 2025, en ajoutant une condition pour exclure les formations bac+3 et plus.
Baisse des coûts de prise en charge : parallèlement, les rapporteurs rappellent qu’en 2022 et 2023, les coûts de prise en charge des contrats d’apprentissage – c’est-à-dire le prix payé par les Opco aux CFA pour chaque formation en apprentissage dans un domaine donné – ont été réduits pour « aligner le financement global des contrats sur leurs coûts ». Ils estiment cependant que l’on peut encore optimiser ces coûts, pour un bénéfice de 150 M€. Une mesure supplémentaire de déremboursement partiel des formations en apprentissage de niveau bac+3 et plus pourrait générer une économie supplémentaire de 220 M€ (prise en charge des contrats bac+5 à 90% seulement) à 620 M€ (prise en charge des contrats bac+5 à 80% et bac+3-4 à 90%). Le solde serait à acquitter par l’entreprise ou par la branche.
Une réduction du champ des exonérations fiscales et sociales
Le rapport propose également de faire contribuer les entreprises en bougeant certains curseurs en matière de taxe d’apprentissage et de coût salarial.
Baisse des exonérations de charge : actuellement, les salaires des apprentis sont exonérés de charges sociales jusqu’à 0,79 Smic. Pour autant, les apprentis accumulent les droits sociaux correspondants (notamment le chômage). Ils ne paient pas non plus la CSG-CRDS, ce qui est exceptionnel pour un revenu du travail. Le rapport propose de baisser à 0,5 Smic la part exonérées du salaire, et de soumettre ce dernier à la CRDS (mais pas à la CSG). Le gain escompté s’élèverait à 342 M€. Cela signifie un renchérissement de l’apprentissage pour les entreprises.
Réduction du champ des exonérations de taxe d’apprentissage : une mission Igas-IGF antérieure avait déjà conclu que les exonérations de TA étaient trop étendues. En les rationalisant, c’est-à-dire en soumettant à la TA une part importante des entreprises qui lui échappent encore, il serait possible de dégager 310M€ supplémentaires.
Augmentation de la CSA : la contribution supérieure à l’apprentissage, prélevée sur les entreprises de 250 salariés et plus qui emploient moins de 5% de salariés en alternance, serait augmentée de 25% à 50%, pour un gain de 46M€ à 93M€. Le rapport utilise un curieux euphémisme : « redynamiser la CSA ».
Par ailleurs, le rapport propose de lever l’exonération d’impôt sur le revenu dont bénéficient les apprentis. En pratique, un apprenti vivant seul n’est pas suffisamment rémunéré pour être imposable. Mais lorsqu’il est rattaché au foyer parental, son salaire pourra désormais venir augmenter l’impôt sur le revenu acquitté par la famille. Le gain est évalué à 459 M€.
Un recours à l’apprentissage plus onéreux pour les entreprises
En pratique, les mesures préconisées se traduiraient donc, pour l’entreprise, par un triple renchérissement de l’apprentissage :
- Le coût salarial serait plus élevé (moins d’aides, mains d’exonérations de charges) ;
- La formation théorique cesserait d’être presque toujours gratuite (baisse des coûts contrat et donc hausse probable du reste à charge) ;
- La fiscalité augmenterait (moins de cas d’exonération, réforme de la CSA).
Un benchmarking (ou « parangonnage », pour employer le terme du rapport) des modes de financement de l’apprentissage a été réalisé avec l’Allemagne, la Suisse et le Danemark. Il en ressort que dans ces pays, connus pour leur recours extensif à l’apprentissage, les entreprises participent davantage au financement du dispositif.
Sur le terrain, on peut supposer qu’en rendant l’apprentissage moins attractif pour les entreprises, les économies seront encore plus importantes – au détriment du recours à cette forme de contrat. Une chose est certaine, le « million d’apprentis par an » ne sera plus à l’ordre du jour.
Des économies réduites sur le CPF et la reconversion
4 autres mesures, moins convaincantes, portent sur le CPF et sur les dispositifs de reconversion (Projet de transition professionnelle, FNE-formation, formations aux demandeurs d’emploi).
Le CPF : une mesure caduque
Le Compte personnel de formation fait également partie des dépenses qui ont explosé suite à la réforme de 2018, passant de 1,44 Mds€ à 3Mds€ entre 2019 et 2022, nous rappelle le rapport. Les auteurs proposent d’instaurer « ticket modérateur », qui pourrait être de 50€ pour toutes les formations ou modulé suivant le type de formation. Depuis la remise de la Revue financière, le montant du reste à charge a été fixé à 100 €, avec un gain attendu de 375M€, soit le double de celui escompté par les rapporteurs en fonction de leur proposition.
Le Projet de transition professionnelle (PTP)
Le PTP apparaît comme une cible un peu surprenante dans le cadre d’une recherche d’économies. Comme le soulignent les rapporteurs, ce dispositif a pris la suite du CIF, mais avec moitié moins de financements (500M€ au lieu d’1Md€ à peu près). Il n’est donc pas responsable de la hausse des dépenses de formation.
De fait, les mesures proposées ne rapporteraient pas beaucoup à l’Etat. Il pourrait s’agir de réserver le PTP aux plus de 30 ans (65M€) ou de réduire la prise en charge de la rémunération du stagiaire (jusqu’à 35M€ d’économies). Les rémunérations représentent de fait 70% du coût du PTP. La prise en charge est à 100% jusqu’à 2 Smic et 90% au-delà. Le rapport propose de réduire davantage la couverture au-delà de 2 Smic, en n’en prenant en charge que 30%.
Le document cite un chiffre étonnant : 45% des bénéficiaires de PTP seraient concernés par la prise en charge de la rémunération au-delà de 2 Smic. Or la population visée est censée être celle des moins favorisés. La mesure aurait donc au moins le mérite de créer des incitations pour réorienter les ressources du PTP vers son public-cible.
Réserver le FNE-formation aux PME
Les aides versées par l’État dans le cadre du FNE-Formation s’inscrivent depuis 2023 dans une logique de financement des reconversions professionnelles. L’enveloppe a baissé en 2024, mais reste tout de même de 192 M€. Les rapporteurs proposent de les réserver désormais aux entreprises de moins de 250 salariés, ce qui permettrait d’économiser 51 M€. La logique serait d’aider tout particulièrement les entreprises de 50 à 250 salariés, qui n’ont plus de financement Opco. Les entreprises de plus de 250 salariés, qui représentaient 1 bénéficiaire sur 3 en 2023, ont moins besoin de ces financements.
Contenir les dépenses de formation aux demandeurs d’emploi
La dernière mesure préconisée par la Revue financière porte sur les formations aux demandeurs d’emploi. Il s’agit de mesures techniques dont le rendement global est évalué de 80 à 100 M€. Les entreprises sont particulièrement concernées par une possible diminution des financements des préparations opérationnelles à l’emploi collectives (POEC) à hauteur de 22M€.
Très critiquée par les experts, l’aide à l’apprentissage était donc déjà sur la sellette au début de 2024. Maintenue pour soutenir l’objectif présidentiel contestable d’un million d’entrées en apprentissage par an, il y a de fortes chances pour qu’elle subisse un écrêtage significatif en 2025 – au moins au niveau de ce qui est proposé ici. Rappelons qu’en 2022, la dépense publique et mutualisée en matière de formation s’est élevée à 32 Mds€. Ce chiffre ne comprend pas les dépenses directes des entreprises, ce qui est normal ; mais il néglige aussi les dépenses de formation des 3 fonctions publiques pour leurs propres agents. Il est possible que 2025 marque le début d’un tassement, voire d’une réduction de l’engagement public dans la formation des salariés. Ou à tout le moins, le début d’un meilleur ciblage, ce qui serait bienvenu.
Source : Management de la formation – 11/09/24