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Formation professionnelle

22 octobre 2025

IA et travail : l’heure d’une appropriation collective et responsable

L’intelligence artificielle (IA) marque un tournant majeur pour le monde du travail. Son déploiement, notamment sous la forme d’IA générative, bouleverse les métiers, les processus et les compétences. Capable de produire du contenu, d’automatiser des tâches complexes et d’assister la prise de décision, elle s’impose désormais comme un levier incontournable de performance avec des promesses de gains de productivité mais aussi des risques inédits. Mais cette révolution technologique, aussi prometteuse soit-elle, soulève des défis majeurs en matière de gouvernance, de compétences, de dialogue social et d’éthique.

En 2025, les entreprises sont à la croisée des chemins : subir une adoption anarchique ou piloter une transformation collective et maîtrisée qui valorise le potentiel humain, évitant à la fois l’angélisme technophile et l’excès de prudence.

 

L’essor de la “shadow IA”, révélateur d’une complémentarité non anticipée

L’un des phénomènes les plus marquants de ces derniers mois est la diffusion massive de l’IA clandestine ou “shadow IA” : l’usage par les salariés d’outils d’IA générative, souvent à l’initiative individuelle et hors de tout cadre officiel. Selon plusieurs études récentes, plus de la moitié des collaborateurs français ont déjà utilisé un logiciel d’IA au travail sans en informer leur hiérarchie, et 12 % déclarent en faire un usage régulier dans leur activité professionnelle. Ce mouvement s’explique par la facilité d’accès à ces outils, leur interface intuitive en langage naturel, et la pression à l’efficacité ressentie par les salariés.

Si cette appropriation clandestine de l’IA révèle une complémentarité entre l’initiative individuelle et les processus organisationnels, elle expose les entreprises à des risques accrus, en matière de sécurité des données, confidentialité, conformité réglementaire, et fracture entre utilisateurs et non-utilisateurs.

2025, l’heure du choix pour les entreprises

Face à cette réalité, 2025 s’impose comme un moment charnière. Les entreprises doivent choisir entre laisser perdurer une adoption non maîtrisée de l’IA parce que relevant d’initiatives individuelles, ou structurer une démarche d’appropriation collective, sécurisée et alignée avec les objectifs stratégiques. La majorité des organisations françaises restent encore au stade de l’exploration ou du pilote, très peu étant passées à un déploiement à l’échelle : moins de 6 % des grandes entreprises ont déployé l’IA à grande échelle et moins d’un tiers des PME ont entamé une démarche structurée. Ce retard relatif, comparé à d’autres pays, s’explique par une prudence face aux risques, mais aussi par la difficulté à transformer des expérimentations individuelles en performance collective.

Cependant, trois facteurs nous semblent annoncer une accélération imminente de l’IA en 2025 : la fin de la phase de découverte, l’arrivée de technologies plus puissantes (agents IA, IA multimodale), et la nécessité de répondre à un choc démographique et à une pénurie de compétences. L’IA devient un outil de résilience autant qu’un levier de transformation.

Expérimenter pour mieux intégrer

Pour réussir cette transition, les entreprises doivent repenser leur gouvernance de l’IA autour de différents axes.

Co-construction des usages : L’adhésion des salariés est essentielle. Il s’agit de coconstruire les cas d’usage avec les équipes, en impliquant les managers et les représentants du personnel dès les premières étapes.

Dialogue social technologique : Le dialogue social doit évoluer pour intégrer les enjeux technologiques. Des initiatives comme le projet Dial-IA, soutenu par des partenaires sociaux français et européens, promeuvent une co-construction des règles d’usage de l’IA, associant employeurs, salariés, fournisseurs et autres parties prenantes, montrent la voie d’une gouvernance partagée, fondée sur la transparence, l’éthique et l’expérimentation.

Formation et acculturation : L’IA impose une montée en compétences massive. Des programmes d’acculturation, de reskilling et d’upskilling doivent être déployés à tous les niveaux de l’organisation, en s’appuyant sur les capacités de personnalisation offertes par l’IA elle-même. En effet, l’IA bouleverse la gestion des compétences. Elle banalise certaines tâches, fragilise des métiers intermédiaires, mais ouvre aussi la voie à des parcours plus diversifiés. Les entreprises doivent adopter une gestion dynamique et stratégique des compétences, en s’appuyant sur l’analyse continue des besoins et des potentiels. L’IA peut aussi devenir un outil de personnalisation des parcours professionnels, en transformant chaque situation de travail en opportunité d’apprentissage.

Expérimentation encadrée : Plutôt que des déploiements massifs, il est préférable de tester l’IA sur un nombre limité de cas stratégiques, avec des moyens significatifs et des mécanismes d’évaluation continue.

Explicabilité et responsabilité : L’acceptabilité sociale de l’IA passe par sa transparence. Il est crucial de garantir l’explicabilité des décisions assistées par IA, de clarifier les responsabilités et de maintenir l’humain « dans la boucle ».

Ce processus doit être accompagné d’une réflexion approfondie sur les interactions homme-machine, l’évolution des métiers et la répartition des responsabilités.

“Le défi est de parvenir à une véritable appropriation collective de ces enjeux, ce qui suppose des moyens spécifiques pour le dialogue social. […] Il est important que la dimension travail soit systématiquement prise en compte dans les réflexions stratégiques sur l’IA et que les représentants des travailleurs soient présents dans ce dialogue entre parties prenantes.” (Projet Dial-IA)

De nouveaux équilibres à trouver entre innovation et prudence

L’adoption de l’IA générative ne se limite pas à des gains d’efficacité ou à l’automatisation de tâches répétitives. Elle pose des questions profondes sur la singularité des parcours professionnels, la responsabilité dans la prise de décision, et le risque de désingularisation des salariés, qui pourraient devenir interchangeables et perdre le sens de leur contribution. Cette “désingularisation” peut générer une perte de motivation, voire des risques psychosociaux, si elle n’est pas prise en compte.

À l’inverse, une intégration réfléchie de l’IA permet d’enrichir les tâches, favorise le développement de nouvelles compétences et offre aux salariés la possibilité de se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée. L’enjeu est donc de préserver la responsabilité opérationnelle et éthique des individus, en maintenant l’humain “dans la boucle” et en clarifiant les rôles respectifs de l’homme et de la machine.

L’explicabilité, une exigence incontournable

La question de l’explicabilité des décisions prises ou assistées par l’IA devient cruciale, tant pour la confiance des utilisateurs que pour la conformité réglementaire. L’IA générative, par sa complexité et son opacité potentielle, nécessite des dispositifs permettant de comprendre, vérifier et contester ses recommandations ou décisions. Ce besoin d’explicabilité s’impose comme une condition de l’acceptabilité sociale de l’IA, mais aussi comme un levier de responsabilisation collective.

D’autres enjeux sociétaux se posent à moyen et long terme

L’intégration de l’IA doit aussi répondre à des enjeux plus larges tels que la souveraineté et la sécurité (il s’agit de protéger les données, garantir l’indépendance technologique et renforcer la résilience face aux cybermenaces) ; la frugalité numérique (réduire l’empreinte écologique de l’IA en adoptant des pratiques responsables tout au long de son cycle de vie) ; l’inclusion (utiliser l’IA pour faciliter l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap ou éloignées du marché du travail) ; le partage de la valeur (réfléchir à une redistribution équitable des gains de productivité générés par l’IA, pour financer la transition et réduire les inégalités).

L’IA, et en particulier l’IA générative, ouvre une nouvelle ère pour le travail, porteuse de transformations majeures mais aussi de risques inédits. Pour les entreprises, il n’est plus temps de se demander s’il faut y aller, mais comment le faire. 2025 est l’heure du choix : subir une appropriation individuelle et risquée de l’IA, ou piloter collectivement son intégration au service de la performance et du développement humain. Seule une gouvernance renouvelée, fondée sur l’expérimentation, le dialogue social et la responsabilisation de tous les acteurs, permettra de tirer le meilleur parti de cette révolution technologique tout en en maîtrisant les dérives.

Par Marc Grosser et Fanny Barbier|25 mai 2025

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